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jeudi 20 janvier 2011

Défenseur des droits: le gouvernement veut décapiter la CNIL

A lire sur le blog BugBrother:

Le gouvernement voudrait “préciser le statut du président de la CNIL“, et a déposé 8 amendements (.pdf) afin de modifier la loi informatique et libertés, au projet de loi sur le Défenseur des droits, qui sera discuté à compter de ce mardi 11 janvier à l’Assemblée.

Plusieurs d’entre-eux visent à empêcher le président de la CNIL et ses vice-présidents de pouvoir participer à la prise de décision des sanctions que l’autorité indépendante est habilitée, depuis 2004, à délivrer. Un autre amendement, visant explicitement le président de la CNIL, propose de “transformer cette fonction en emploi public” :

Compte tenu de la charge qu’elle représente, la personne qui en est titulaire ne peut que s’y consacrer pleinement.

Ceci suppose l’incompatibilité de cette fonction avec tout mandat électif national, toute activité professionnelle, et toute détention d’intérêts dans une entreprise du secteur des communications électroniques ou de l’informatique.

Pour Authueil, pseudonyme d’un blogueur et assistant parlementaire très au fait des liens entre informatique et libertés qui, le premier, a signalé l’information sur Twitter, avant d’y consacrer un billet sur son blog, le message envoyé par ce “magnifique cavalier parlementaire” est des plus clairs :

Le gouvernement veut virer Turk de la présidence de la CNIL

Voire : l’amendement précise qu’en cas d’adoption, lesdites dispositions n’entreraient en vigueur qu’à l’issue du mandat du président de la CNIL “en fonction au jour de publication de la présente loi“.

Alex Turk en 2004Sénateur du Nord, membre de la Commission des lois du Sénat et commissaire de la CNIL depuis 1992, Alex Türk est le président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés depuis 2004.

Il fait partie des sénateurs dont le mandat doit être renouvelé en 2011, ce qui, s’il n’est pas réélu, lui coûterait également son poste à la CNIL.

La loi informatique et libertés précise en effet que les commissaires désignés par le Parlement siègent pour la durée du mandat à l’origine de leur désignation, mais également que leurs mandats de membres de la CNIL “ne peuvent excéder une durée de 10 ans“.

Or, Alex Türk y est, lui, depuis maintenant 18 ans. Mais aucun des interlocuteurs à qui j’ai posé la question n’a su me dire si, en cas de réelection, Alex Türk devrait, ou non, quitter la CNIL, dans la mesure où il en est le président.

En tout état de cause, la stature qu’il a acquis au fil des années, et le fait qu’il siège au Sénat, lui ont incontestablement donné un poids que n’aurait jamais pu avoir un haut fonctionnaire absent de la scène politique. La proposition du gouvernement vise ainsi clairement à amoindrir le poids politique de la CNIL.

Comme le soulignait d’ailleurs Bernard Roman, député socialiste du Nord, lors de l’examen des articles du projet de loi organique :

Nous ne pourrons pas faire l’économie d’une discussion sur les moyens dont disposera le défenseur (des droits, NDLR).

Rappelez-vous que la CNIL n’a dû son salut qu’à la pugnacité de son président : ce n’est pas avec des moyens-croupions que l’on défendra la noblesse d’une mission !

De fait, la CNIL est l’un des rares autorités indépendantes chargées de la défense de nos libertés à ne pas être sacrifiées sur l’autel du projet de loi sur le “Défenseur des droits, initié par Édouard Balladur afin de prendre la défense de toute personne “s’estimant lésée par le fonctionnement d’un service public“, et qui permettra, de fait, de mettre un terme à l’existence d’un certain nombre d’autorités, par trop indépendantes, de défenses de nos droits et libertés.

Un “recul important pour la protection des droits humains”

L’objectif est en effet de fusionner cinq autorités administratives indépendantes existantes en une seule : le médiateur de la République, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), la défenseure des enfants, la Halde et, à partir de 2014, le contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Or, estime (.pdf) la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), la proposition de nomination du défenseur des droits, par le président de la République, “ne donne pas de gages réels d’indépendance.

Pour Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty international France, le projet de loi marquerait de plus “un recul important pour le respect et la protection des droits humains en France“, à mesure que cette concentration sera de plus “dépourvue des qualités que les citoyens sont en droit d’exiger : indépendance, impartialité, transparence ainsi que des pouvoirs et des moyens nécessaires pour accomplir sa mission” :

Concentrer les attributions de quatre autorités, près de 90 000 dossiers traités en 2009, puis d’une cinquième à partir de 2014 ? Une charge insensée pour un défenseur qui aurait à décider souverainement des situations portées à son attention et n’aurait pas à motiver son refus de s’en saisir.

Quel est l’intérêt de créer un défenseur se traduisant par une perte de garanties, d’expertises ? Par une diminution de la protection des droits des personnes ? La volonté du gouvernement est-elle d’instaurer un défenseur des droits au rabais ?

L’UNSA, qui s’élèvecontre un projet fourre-tout largement inspiré par une volonté d’économies budgétaire“, estime de son côté que “le risque est grand que la mission fondamentale, celle de la défense effective des droits, n’en sorte amoindrie“.

Dans un appel commun, la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat de la magistrature et plusieurs autres acteurs et défenseurs des libertés expriment de leur côté “leur plus grande défiance” vis à vis de ce projet de loi, en prenant l’exemple de ce que deviendra le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté, créé en 2007 afin de se mettre “enfin en conformité avec le protocole additionnel à la Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains et dégradants, du 18 décembre 2002” :

Héritier de l’actuel Médiateur de la République, le Défenseur des droits aura avant tout une mission de résolution des litiges, c’est-à-dire de médiation : il interviendra comme tiers dans la résolution de conflits entre un individu et une administration.

À l’inverse, les fonctions du contrôleur consistent à contrôler les conditions dans lesquelles des personnes sont privées de liberté dans un souci de prévention des atteintes aux droits de l’Homme ainsi que des traitements inhumains et dégradants.

La Commission Nationale Consultative des Droits l’Homme avait de son côté souligné les différences entre ces deux approches :

La médiation est l’intervention d’un tiers, par la voie du dialogue, de l’incitation et du compromis, pour faciliter la circulation d’informations ou le règlement d’un différend.

Le contrôle permet de surveiller la bonne application d’une règle de droit et d’en sanctionner la violation.

Il faut sauver le soldat CNIL

J’ai moult fois exprimé mes réserves, et critiques, envers la façon qu’avait Alex Türk d’incarner la protection de nos droits informatique et libertés. Alex Türk est en effet à la vie privée ce que Nicolas Hulot est à l’écologie : une chose est de faire de grands et beaux discours, une autre est d’agir en faisant montre de pratiques à la hauteur de la noblesse de ces discours (voir Alex Türk ou le Nicolas Hulot de la vie privée).

Sous couvert de mise à jour de la loi informatique et libertés, en 2004, il avait ainsi défendu au Sénat l’interconnexion des fichiers policiers, alors même qu’ils étaient hors la loi (avec le résultat que l’on sait : Le quart des 58 fichiers policiers est hors la loi).

Alex Türk en avait également profité pour faire passer un amendement afin d’autoriser la création de fichiers d’auteurs présumés d’infractions par des entreprises privées, et ce afin d’anticiper le mécanisme de surveillance et de sanction de l’Hadopi.

Plus récemment, Alex Türk avait également, en tant que sénateur, voté pour l’Hadopi, puis pour la LOPPSI, validant la substitution, digne de la “novlangue” orwellienne, du terme “vidéosurveillance” par celui de “vidéoprotection, et sans même profiter de son temps de parole pour faire état des critiques que, en tant que président de la CNIL, il avait pourtant proféré à l’encontre de ces deux projets de loi…

Lorsque, en 2010, les Big Brother Awards (BBA) lui décernèrent un Prix spécial du jury, en le présentant comme “le roi de la novlangue de bois“, Alex Türk tenta de botter en touche en remerciant les BBA d’avoir ainsi primé la CNIL, alors que c’était bien lui qui avait été “récompensé” par les membres du jury (universitaires, représentants du Syndicat de la magistrature, du Gisti et autres défenseurs des libertés).

Ceci étant dit, la CNIL n’en a pas moins obtenu bien plus de moyens, humains et financiers, sous la présidence d’Alex Türk. De plus, et fort de sa stature de sénateur et de son ancienneté à la CNIL, Alex Türk est aussi, aujourd’hui, la personnalité publique et politique la plus à même d’être entendue en matière de défense des droits informatique et libertés au Parlement, dans les administrations et les entreprises.

Quel que soit le bilan que l’on peut tirer de sa présidence de la CNIL, rien ne dit que si son président était une personnalité dépourvue de tout “mandat électif national“, il en irait autrement. Mais c’est une lapalissade que d’estimer que plus le président de la CNIL a d’influence dans la société civile, plus le poids de la CNIL sera important…

Force est de constater qu’Alex Türk ne brille guère, au Sénat, par le nombre de ses interventions en séance publique, pas plus que par ses interventions en commission. L’agenda du président de la CNIL est, de fait, chargé, et ce type de cumul de mandats nuit probablement moins à l’activité du Sénat qu’il ne contribue à porter loin la voix de la CNIL.

En tout état de cause, cette façon qu’a le gouvernement de vouloir décapiter la CNIL, dans le contexte très lourd de fusion des différentes autorités indépendantes, témoigne très clairement d’une volonté de provoquer un “recul important pour la protection des droits humains.

Comme l’avaient écrit plusieurs anciens membres de la CNIL en 2004, dans un article qui plaidait pour un renforcement de la loi de 1978, “Il faut sauver la loi informatique et libertés“.

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