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dimanche 26 septembre 2010

LA DÉLOCALISATION EST-ELLE ENCORE PAYANTE?

A lire dans Chefs d’entreprise.

Chef d'entreprise Magazine N°51 - 01/09/2010 - Sophie Sanchez

Hausse des salaires dans les pays émergents, augmentation des coûts de transport, problèmes de qualité, retards de livraison... Autant d'ombres au tableau des délocalisations qui viennent atténuer, voire effacer, les gains liés à cette solution de production. Décryptage des raisons qui amènent certaines entreprises à rebrousser chemin.

Voir ailleurs si l'herbe est plus grasse, ou plutôt partir pour éviter de connaître des périodes de vaches maigres. C'est la décision qu'ont dû prendre certaines sociétés françaises dès la fin des années 80, emboîtant le pas aux firmes américaines et allemandes qui avaient déjà fait, plus tôt, ce choix de la délocalisation. Selon une récente étude de l'Insee sur l'évaluation de l'impact du commerce international sur l'emploi, près de 12 % des chefs d'entreprises de plus de 20 salariés ont déclaré avoir délocalisé entre 2002 et 2007. Première raison invoquée par les sociétés quittant le sol français: faire baisser le prix de revient en faisant travailler des « mains » moins onéreuses et être ainsi plus compétitives face à des concurrents bénéficiant de coûts de production plus faibles. La réduction de la masse salariale serait en effet la principale motivation pour 79 % des PME (source KPMG-Medef). «La différence de coût entre la main-d'œuvre française et celles des pays dits «low cost" serait de 1 à 5, voire de 1 à 10 dans les pays de l'Est et du Maghreb, et de 1 à 20 dans les pays asiatiques », précise Philippe Peyrard, directeur général délégué de la coopérative de lunetterie Atol et membre fondateur du Comité des entrepreneurs pour un développement responsable de l'économie (Cedre).

PHILIPPE PEYRARD directeur général délégué de la coopérative de lunetterie atol et membre fondateur du cedre.

«Une entreprise qui fabrique des produits volumineux peut perdre ce qu'elle aura gagné en main-d'oeuvre rien qu'avec les frais transport, mais aussi d'emballage et de logistique.»

D'autres critères poussent les entreprises à tenter l'aventure vers d'autres contrées. Sont notamment évoqués la recherche de nouveaux relais de croissance, le développement du chiffre d'affaires ou tout simplement l'obligation de suivre les grands donneurs d'ordre. Si les attraits de la délocalisation semblent encore bien réels, certaines entreprises ayant déplacé leur production effectuent pourtant le mouvement inverse. Outre de grands noms comme Décathlon, Samas, Atol ou Pétrole Hahn, des PME retrouvent aussi le chemin de la France. «Les chefs d'entreprise qui ont généralement la tête dans le guidon et ne sont pas forcément bien conseillés se rendent compte, une fois sur place, que l'équation économique était erronée, car ils n'avaient pas pris en compte le coût complet d'une délocalisation », explique Philippe Peyrard (Atol). Frais de transport, de logistique et de stockage, prix de formation de la main-d'oeuvre, difficultés de manager les équipes à distance, augmentation des salaires locaux, turnover, problèmes de qualité, retards, etc. Au final, la facture peut s'avérer lourde et le projet moins opportun. Une étude du cabinet de conseil Mckinsey démontre ainsi qu'une entreprise délocalisée qui intègre ces coûts cachés, fait passer ses gains de productivité de 22 à 3 %. Mieux vaut donc, pour une entreprise voulant installer des sites à l'étranger, effectuer correctement ses calculs et mesurer les conséquences d'une telle décision.

Des factures de transport à la hausse.

L'un des postes à ne pas négliger dans les coûts d'une délocalisation est bien entendu celui du transport. Fabriquer du mobilier induit des coûts nettement plus importants que si l'on produit des tee-shirts. Mais, quelle que soit la nature du produit, les termes de l'équation semblent changer avec l'envolée des prix du pétrole. Les coûts de transport d'un container auraient ainsi plus que triplé depuis 2000. Outre la question environnementale, produire loin pose problème aux entreprises. Dans un contexte où elles se doivent d'être de plus en plus souples et réactives face aux demandes des clients, être tributaire de plusieurs semaines de transport maritime, notamment pour les entreprises travaillant dans les pays asiatiques, s'avère handicapant. « Sans compter que pour optimiser les containers et éviter de multiplier les trajets, nous commandons de grosses quantités, ce qui induit des avances de trésorerie et des capacités de stockage à l'arrivée conséquentes », relate Alain Comalada, p-dg de la société PEG, spécialisée, notamment, dans la fabrication de couettes, oreillers et isolants. Avec la flambée du baril, la délocalisation de proximité semble recueillir aujourd'hui beaucoup de suffrages. Des entreprises, qui avaient vu dans la Chine un nouvel Eldorado, replient bagage pour privilégier les pays de l'Est ou le Maghreb. De plus, certains dirigeants ne souhaitent pas que les sites de fabrication soient trop éloignés de leur marché. A l'instar du fabricant allemand de papeterie et d'instruments d'écriture Pelikan, qui a choisi de produire en République tchèque, ils veulent pouvoir être réactifs, avoir un œil sur la production ; « veiller au grain » n'est pas sans intérêt quand on a rencontré des problèmes de qualité.

Revenir à la qualité et au made in France.

Du bleu proche du vert, des produits abîmés, des textiles tâchés... Combien de dirigeants ayant délocalisé leur production ont-ils échappé aux sueurs froides à réception de leurs containers? Geneviève Lethu, spécialiste des arts de la table, en a fait les frais. Confrontée à des soucis de qualité et de conformité des produits avec les fabricants chinois, la PME a décidé, en 2002, de revenir au « bercail ». Ses couteaux sont aujourd'hui fabriqués à Thiers et son linge de maison dans les Vosges. L'étiquette « made in France » et le savoir-faire qui l'accompagne s'avèrent pour la marque un gage de qualité et un argument marketing. Certains patrons font aussi du maintien de leur activité en France leur fierté. Oliver Colas, l'un des dirigeants de la jeune société bretonne Argolf, spécialisée dans la fabrication des putters, insiste: «Nous nous refusons à ne regarder que le prix de fabrication. Nos putters sont conçus dans le respect d'une tradition et d'un savoir-faire qu'il faut perpétuer. Pour donner naissance à des produits de qualité, la proximité et la possibilité de suivre la fabrication et les fournisseurs de A à Z sont indispensables. Produire local permet aussi de préserver des emplois et d'être en phase avec les problématiques de développement durable. » De plus, se séparer de la production ne conduit-il pas à mettre en danger sa capacité à préserver des savoir-faire spécifiques, à innover et se démarquer ? C'est l'avis de Philippe Peyrard qui aime relater le retour en France d'Atol. Ayant enfin trouvé un partenaire prêt à le suivre en 2004, il quitte la Chine et fait rimer sa relocalisation avec innovation. « Les consommateurs français sont prêts à payer plus cher pour un produit de meilleure qualité et leur offrant une vraie valeur ajoutée. Jouer sur ces leviers plutôt que sur celui du seul prix revient à se positionner dans un cercle vertueux, car proposer des produits sophistiqués permet également de mieux exporter. » Les entreprises voulant délocaliser doivent aussi se poser l'épineuse question de la propriété intellectuelle. Le dépôt de brevets, coûteux et temporaire, ne suffit pas à enrayer les risques d'une copie des technologies ou de débauche d'un salarié préalablement formé.

Difficultés à recruter et à fidéliser du personnel qualifié.

La gestion du personnel représente aussi un point noir sur le tableau de la délocalisation. Si le coût de la main-d'œuvre est moins élevé, il est désormais difficile, dans certains pays, de trouver des salariés qualifiés, les meilleurs candidats ayant souvent déjà été recrutés. « Les bons éléments sont très sollicités par les grands groupes, confirme François Schmidt, p-dg d'EFS, PME spécialisée notamment dans la production de matériels de mesure. Nous avons eu beaucoup de chance de pouvoir recruter un technico-commercial chinois afin de développer notre propre filiale à Hangzhou. » Même son de cloche pour Benoît Martel, directeur export d'Aromatech, entreprise spécialisée dans les arômes alimentaires installée en Chine: « Il faut veiller à motiver et à fidéliser des collaborateurs très sollicités. » Par ailleurs, si la main-d'œuvre reste effectivement moins chère qu'en France, la tendance est à la hausse, que ce soit en Europe de l'Est, en Inde ou en Chine. Dans l'empire du Milieu, l'explosion des suicides (comme chez Foxconn Technology) et les grèves poussent les entreprises à augmenter les salaires.

Confrontées à cette hausse des coûts de la main-d'œuvre en Chine (plus de 10 % sur la zone côtière), certaines sociétés transfèrent leur production au Cambodge ou au Laos. Des pays comme la Tunisie ou le Maroc deviennent aussi des destinations de plus en plus compétitives. « Les entreprises qui délocalisent seront toujours confrontées à la concurrence de pays à plus faibles coûts. Il s'agit donc d'une vision à court terme qui érode les sociétés dans leur capacité à imaginer et à innover », commente El Mouhoub Mouhoud, professeur à l'université Paris-Dauphine.

Alors délocaliser ou pas? Les entreprises doivent en amont d'un tel projet se poser les bonnes questions: la main-d'œuvre est-elle prépondérante dans mon activité? Ai-je les moyens d'encadrer la production outre-frontières? Quel sera le poids du poste transport dans le coût global? Le site de fabrication nécessite-t-il une proximité avec le client final? Aucun dirigeant ne peut s'exonérer de cette démarche.

TEMOIGNAGE La délocalisation m'a fait perdre en qualité ALAIN COMALADA, p-dg de la société PEG

L'expérience de la délocalisation aura laissé un goût amer à Alain Comalada, p-dg de la société PEG, spécialisée notamment dans la fabrication de couettes, oreillers et isolants pour les vêtements et le bâtiment. Lorsque cet entrepreneur normand veut se lancer dans la microfibre, il y a trois ans, il ne trouve pas en France de fournisseur capable de lui proposer une machine répondant à cette activité. Il décide alors de mettre le cap vers la Chine. Une série de mésaventures attend alors Alain Comalada: problème de qualité, retards dans la fabrication et la livraison, communication difficile. La facture s'avère plus lourde que prévue, la charge de stress également. « Lorsque l'on travaille avec des grands noms de la distribution, exigeants et intraitables, on ne peut pas se permettre ce genre d'incertitudes. Nous avons dû faire appel sur place à des laboratoires pour contrôler la qualité des produits et éviter les mauvaises surprises. » sans compter que pour faire face aux délais de livraison (un mois de bateau) et optimiser les containers, la société est amenée à commander de grosses quantités de marchandises, ce qui induit des avances de trésorerie et de grosses capacités de stockage à l'arrivée. Echaudé par cette solution de production décevante et onéreuse, Alain Comalada parvient à rapatrier, en 2009, toute la production d'oreillers et de couettes synthétiques en s'équipant de la fameuse machine qui lui permet alors de produire lui-même sa microfibre. Aujourd'hui, l'entrepreneur a installé une nouvelle usine à Varneville, à une vingtaine de kilomètres du siège social, et emploie 10 personnes en CDI.
PEG - Repères
- ACTIVITE: Fabrication d'articles textiles, sauf habillement
- VILLE: Dénestanville (seine-maritime)
FORME JURIDIQUE: SA à conseil d'administration
DIRIGEANT: Alain Comalada, 56 ans
ANNEE DE CREATION: 1850
EFFECTIF: 98 salariés
CA 2009: 25 MEuros

ZOOM La prime à la relocalisation

Comment stopper l'hémorragie ou plutôt comment redonner du sang neuf à une économie anémique? Le gouvernement semble avoir choisi son remède. Evoqué par Christian estrosi, ministre de l'Industrie, en octobre 2009, et confirmé par Nicolas sarkozy lors des Etats généraux de l'industrie en mars dernier, le principe d'une prime à la relocalisation a été adopté. Il s'agirait d'une enveloppe de 200 mEuros, partagée entre les entreprises de moins de 5 000 salariés qui ramèneraient leur activité en France. Cette somme, issue du grand emprunt, servirait à financer, sur trois ans, des avances remboursables. Les conditions: les entreprises concernées doivent investir au moins 5 MEuros et créer 25 emplois minimum, de préférence dans des bassins à revitaliser. Autant dire que cette mesure ne concerne que les grosses pme.

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