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samedi 19 juin 2010

Alcatel-Lucent, initiateur de la désindustrialisation

Alors que l’entreprise vient d’indiquer qu’elle réfléchit sur la délocalisation de ses activités de service vers l’Inde, son cours de Bourse n’a jamais été aussi bas. Un des évènements fondateurs de la chute : l’entreprise sans usines. Retours sur une erreur de stratégie qui conduit l’entreprise vers un dépôt de bilan certain et qui a fortement et négativement influencé l’industrie française.

Alcatel-Lucent est le nom de la société née en 2006 de la fusion entre Alcatel et Lucent Technologies. Pour bien comprendre l’histoire de l’entreprise, il faut remonter au tout début de ses origines.

Créé en 1881 sous le nom de Compagnie Générale d’Électricité (CGE) à Charleroi (Belgique), en 1914, son siège social est transféré à Paris. C’est à partir de ce moment que l’entreprise devient un prédateur et accumule les absorptions : La Compagnie Générale des Câbles de Lyon en 1925, Prise de contrôle de la SAFT,  acquisition de Télic en 1965, Prise de contrôle de la Société Alsacienne de Construction Atomique, de Télécommunications et d’Électronique (Alcatel) en 1968, actionnaire majoritaire de d’Alsthom en 1969, Fusion Alcatel et de la Compagnie Industrielle des Téléphones (CIT) en 1970, Alsthom absorbe les Chantiers de l’Atlantique pour devenir Alsthom-Atlantique en 1976. En 1982, la CGE est nationalisée et les acquisitions continuent : Prise de contrôle de la Sesa en 1982, prise de contrôle de la holding Thomson Télécommunications en 1983, rachats de Thomson Jeumont Câbles et Kabeltel en 1983. Ce n’est qu’en 1985 que la fusion de CIT-Alcatel-Thomson Télécommunications crée la société Alcatel. CGE achète les activités de télécommunication à ITT corporation en 1986 et prise de participation (40 %) dans Framatome. En 1987 la CGE est privatisée et se débarrasse de la Sesa au groupe Cap Gemini Sogeti. En 1989 la CGE donne naissance a GEC-ALsthom qui devient Cegelec. En 1990, Alcatel prend le contrôle de Telettra. La CGE devient Alcatel Alsthom en 1991 et achète la division de transmission du groupe Rockwell Technologies. En 1993, acquisition de STC Submarine Systems à Northern Telecom Europe (Nortel). En 1995, Serge Tchuruk devient président d’Alcatel Alsthom et recentre l’entreprise sur les télécommunications. C’est en 1998 qu’Alcatel Alsthom devient Alcatel et l’achat de DSC permet de cibler le marché américain, Cegelec est vendu à GEC Alsthom qui devient Alsthom. En 1999 Alcatel achète Xylan, Packet Engines, Assured Access et Internet Devices. En 2000, achat de Newbridge, Genesyslab, Innovative Fibers et vente de l’activité modem DSL à Thomson Multimédia.

C’est en 2001 que la longue expansion de l’entreprise fléchit. C’est l’année de la cession de la participation dans le groupe Alsthom (24 %), Thales (4,2 %), Areva (2,2 %), mise en bourse de Nexans. Mais 2001 est aussi l’acquisition d’Alcatel Space. 2002 est l’année de l’acquisition d’Astral Point Communication Inc, d’Alcatel Shanghai Bell, Telera,  mais également de la cession de ses activités de microélectronique (STMicroelectronics), 6,13 % de Thalès, 5 % de Nexans et la sortie du capital de Thomson. En 2003, cession de 50 % de Atlink, des Compasants Optiques, de Saft Batteries mais achat de iMagicTV et TiMetra Inc. En 2004, vente de SAFT, de participations dans Avanex mais acquisition de eDial Inc, Spacial Communications et Right Vision.

Finalement le 1er décembre 2006, Alcatel fusionne avec Lucent et forme Alcatel-Lucent, dirigé par Patricia Russo.

Si l’on regarde l’histoire du cours de bourse de l’entreprise, celui-ci grimpe vertigineusement jusqu’en septembre 2000, pour chuter progressivement de 97 à 2,28 soit une perte de 97,65 % !

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Entre 2000 et début 2001, la chute des cours est modérée et est considérée comme principalement due à un contexte défavorable aux valeurs technologiques, puis de celles des télécommunications. La baisse devient incroyable vers mi-2001 alors que l’action aurait dû repartir à la hausse. Que s’est-il donc passé en 2001 qui ait pu entrainer l’entreprise dans ce gouffre qui n’est même pas comblé par la fusion avec Lucent en 2006 ? Situation de plus en plus grave, en juin 2010, l’entreprise à annoncer une perte de 524 millions d’euros en 2009 avec des ventes en baisse de 10,8 %… L’action se négocie alors 2,28 € nous ne somme plus loin de la gratuité (sic!).

La réponse à cette question se trouve en grande partie dans la décision de Serge Tchuruk en juin 2001 : Alcatel se donne alors 18 mois pour devenir une entreprise sans usine ! L’entreprise passerait alors de 120 usines à moins de 2 ! La formule « entreprise sans usines » fait alors sensation, tous les journaux en parlent. L’idée est si surprenante, à l’époque, qu’on ne sait quoi penser. Idée géniale ou ânerie monumentale ? Les patrons ont choisi leur camp : c’est une idée géniale. Il faut dire que la formule de Tchuruk à toutes les qualités d'une bonne formule. Imagée, elle paraît être le fruit d'une réflexion managériale moderne, tout en évoquant d'autres expressions déjà très médiatiques : le « bureau sans papier » promis par l’informatisation, le « commerce sans magasins » ou encore la « banque sans guichets » promis par le commerce sur internet. En ce qui me concerne, j’ai tout de suite considéré cette décision comme catastrophique !

Quelle mouche a bien pu piquer Tchuruk ? En fait, il est un des premiers PDG de grand groupe a céder aux promesses de l’externalisation : les usines seront cédées à des sous-traitants. Cette approche, toujours à la mode aujourd’hui est bien pratique, car il offre une grande liberté au donneur d’ordre : moins de personnel à gérer, pas de charge fixes, moins de bureaux, moins de soucis industriels (qualité, productivité, investissement). Le mythe de l’entreprise virtuelle. Séduisante sur le papier, l’externalisation se révèle souvent comme la solution de facilité pour les dirigeants d’entreprises. Ils appellent cela également « concentrer leurs activités sur leur cœur de métier » formule plus élégante et discrète. En se débarrassant des problèmes industriels, l’entreprise ne bénéficie plus non plus des avantages d’une production industrielle : elle n’a plus la maîtrise de ses marges et dépend de ses sous-traitants. Dans un marché ultra concurrentiel, où le coût de fabrication est primordial, ce qui apparaît comme un avantage est en réalité une catastrophe et un coup de poignard entraînant la mort de l’entreprise. Les prix de vente dépendent alors des coûts de fabrication du sous-traitant incluant sa propre marge. Marge qui, en s’additionnant à celle d’Alcatel, rend ses produits bien trop chers, et ce, sans aucun avantage pour le client final. Partant du principe évident que l’on ne peut sous-traiter bien que ce que l’on sait faire, il est évident que l’entreprise sans usines est vouée à l’échec, car rapidement les processus industriels sont oubliés et ne sont plus maîtrisés. Depuis le lancement de l’« entreprise sans usines » le nombre d’employés d’Alcatel a été divisé (presque) par deux passants de 131 000 à 76 000 : une « entreprise sans usines » est également « entreprise sans salariés »…

Ce qui est triste dans l’histoire d’Alcatel-Lucent, c’est qu’une simple “petite phrase” a condamné l’avenir de l’entreprise sans lui laisser la moindre chance. En juin 2001, Alcatel a donné un très mauvais signal en France : il a donné l’idée que l’industrie n’était pas une activité noble (puis qu’il fallait s’en débarrasser en 18 mois) et que les services et la finance étaient l’avenir de nos entreprises. Nous voyons clairement aujourd’hui ou cela a conduit la France : désindustrialisation et financiarisation à l’extrême. Cette stratégie est clairement à l’origine de notre situation actuelle et, de plus, a créé de toutes pièces le géant qu’est la Chine, rendant impossible toute relocalisation massive.

Doit-on rappeler que pour sa grande performance pour son entreprise et par la France, monsieur Tchuruk a touché 5,6 millions d’euros pour avoir le droit de partir de l’entreprise.

Franchement, merci Monsieur Tchuruk !

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Lorsque S Tchuruk a vendu la Fab-less company à ses actionnaires c'etait pour esperer redresser la companie que P Suard avait amené au bord du gouffre du fait de sa stratégie multi-activité qui avait cours à l'époque ( Voir Siemens qui n'a changé que depuis peu d'années ) . Le membres du conseil d'administarion d'alors avait fait appel à ST pour gagner de l'argent ! On ne peut pas dire qu'il ont eu raison ! Le choix de ST de se concentre sur les Telecom et de devenir le competiteur de Cisco que Suard avait refusé d'acheter à l'époque a conduit à cette strategie du FabLess .
Cette monoactivité a fragilisé l'entreprise puisque plus sensible à la conjoncture mais avec des espérences de gains plus élevés !!
Je suis un ancien d'Alcatel Lucent
francois.jaeggy@laposte.net

Anonyme a dit…

Dans la liste des entreprises qui ont été vampirisées, il manque entre autre l'AOIP qui fabriquait des centraux téléphoniques électromécaniques ainsi que les premières unités de raccordement électroniques et ce dans les années 80 avec fermeture (1200 emplois) de l'unité de production de Guingamp (Côtes d'Armor) en 1989.
Je suis un ancien salarié de l'AOIP Guingamp maintenant chez alcatel-Lucent

Anonyme a dit…

C'est quand même bizarre cette habitude de nos dirigeants de partir avec un parachute doré après avoir ruiner l'entreprise qui les a accueillis.

Anonyme a dit…

Audiard :

Les cons, ça ose tout.
C'est curieux [...] ce besoin de faire des phrases.

Anonyme a dit…

Je suis d'accord avec l'article. Il oublie toutefois un élément de taille: la Chine ! Depuis dix ans les télécoms font partie des secteurs stratégiques pour la Chine et les constructeurs Chinois (Huawei et ZTE) ont émergé puis laminé les marchés avec des prix canons, aidés par des subventions et des largesses de l'état Chinois, dont la finalité est souvent géo-politico-économique: construction de routes/stades/infrastructures télécoms contre pétrole et autres matières premières. A ce petit jeu, Huawei est maintenant en passe de prendre la place de N°1 mondial... Tant que la Chine pratiquera des règles de business différentes des autres pays, il sera difficile pour un constructeur télécom comme Alcatel-Lucent de résister...

Anonyme a dit…

L'entreprise s'enfonce encore plus vite maintenant en remplaçant tout le personnel expérimenté par des ressources locales(à faible coût) inexpérimentés. La vision de l'entreprise basé sur le tout IP est synonyme d'abandon d'une grande partie du metier qui a fait le fortune d'Alcatel sans Lucent qui était une grosse planche pourrie.

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